[Ecrit par Sam]
Notre parcours:
Première étape: Saint Louis, ancienne capitale de la colonie, à l’embouchure du fleuve Sénégal.
Nous partageons la chambrette de notre ami El Hadj, dans son école coranique. Bercés dès l’aurore par le bourdonnement des marmots qui ressassent les sourates, seul les violents coups de trique administrés par le marabout aux élèves étourdis nous sortent de notre sommeil. Enfants des rues, orphelins et miséreux sont recueillis ici dès le plus jeune âge pour recevoir l’enseignement sacré. Se balançant d’avant en arrière des heures durant, ils récitent en boucle le verset du jour dans une langue qu’ils ne comprennent pas, l’arabe, avant d’être envoyé faire la manche en ville.
Bordant la rive du fleuve, les bâtiments coloniaux décrépis témoignent d’une prospérité révolue: anciens comptoirs de gomme arabique, entrepôts d’esclaves en réengraisssement avant le grand voyage; c’est ici que vivaient les notables et les gens « respectables ».
Au delà s’étend le port de pêche et sa multitude d’embarcations de bois, bariolées et colorées, qui charrient dans la cohue le poisson fraîchement péché.
Le défi, difficile à relever, est de parvenir à sécher la marchandise avant qu’elle ne pourrisse. Autant dire que ça ne sent pas la rose. Ces poissons n’en sont pourtant qu’au début de leurs avaries, puisqu’ils seront parfois acheminés à des milliers de kilomètres sur des pistes poussiéreuses et sous un soleil de plomb.
Quittant le pays Wolof, nous remontons le fleuve à la rencontre des Toucouleurs.
Sur ces terres désertifiées, les villages se suivent et se ressemblent. Une haie d’honneur de détritus informe sur leur ampleur.
Puis, par essaims entiers, le sourire jusqu’aux oreilles, accourent les enfants scandant l’éternel « bonjour Toubab! » (homme blanc), auquel nous ne savons pas tout de suite quoi répondre.
Curieux et pleins de vie, ils sont cependant polis et bien élevés, pas du tout des sales gosses comme je le redoutais. La sonnette de nos vélos les intriguent plus que la rougeur de notre peau.
Nous arrivons au puits, le lieu de rencontre des femmes, où s’échangent tous les cancans, dans une rigolade qu’elles n’hésitent pas à partager.
Les chamailleries semblent adoucir la dure corvée de l’eau. Scarifiées et parfois tatouées à la suie, leur démarche est majestueuse lorsqu’elles repartent avec une bassine de 30 litres sur la tête, aussi droite qu’un cierge.
Affalés sous l’arbre à palabre, les anciens nous saluent d’une main molle. C’est ici que nous trouvons le chef du village, à qui nous demandons l’hospitalité, immanquablement accordée.
Echange de questions bêtes:
Le fils du chef: -« Tu es de quelle ethnie? Malinke? Soninke? »
Ali: -« Combien êtes vous à vivre sous ce toît? »
Le fils du chef étonné : -« On n’a jamais eu l’idée de compter! Mais si tu comptes le nombre d’antennes télé, tu sauras combien de femmes a mon père! »
Un autre fils: -« Quand la France a t-elle obtenu son indépendance? »…
L’état du poste de douane du Mali, tapissé de chiures de mouches, et entouré d’immondices nous prépare à baisser encore un peu nos attentes en termes de confort et d’hygiène.
Des affiches de l’OMS nous invitent à nous laver les mains avec du savon pour nous protéger d’Ebola. Evidemment, il n’y a pas un robinet à des kilomètres à la ronde.
Nous entrons en territoire Bambara, puis Malinke et Soninke. Cette zone qui semble jusqu’ici avoir été épargnée par la déprédation humaine est désormais le théâtre d’une ruée vers l’or effrénée. Venus par milliers de toute l’Afrique de l’ouest, les pionniers édifient d’innombrables campements de fortune, qui, si le précieux métal est au rendez-vous, se métamorphosent en gigantesques bidonvilles de brousse teintés d’une touche de far west.
Bien sûr, l’approvisionnement en eau n’est pas assuré, ni l’assainissement, ni aucune infrastructure permettant de minimiser l’insalubrité ambiante.
Une fois la forêt brûlée (et accessoirement la faune qui l’habitait), la roche est arrachée à la montagne grâce à des pioches faites maison, puis broyée et tamisée avec du mercure, laissant quelques fois apparaître quelques paillettes.
Pas de quoi faire fortune,visiblement: les épiceries n’offrent guère que quelques boîtes de sardines rouillées!
Nous voilà à nouveau au Sénégal, dans un cul-de-sac coincée entre la vaste zone protégée du Parc National de Niokolo Koba et la Guinée.
En attendant de pénétrer dans le parc, prometteur de belles observations naturalistes (attention à ne pas vendre la peau de l’hippopotame ou du lion avant de les avoir tués), nous mettons à profit la convalescence d’Ali pour goûter à un peu de repos.
Et oui, ce coin aux allures de bout du monde est idéal pour se faire suturer le genou et faire connaissance avec les Bassaris, l’ethnie locale. Si leur cohabitation actuelle avec les Peuls semble désormais paisible, l’histoire récente s’avère bien plus mouvementée. Quand les Peuls fraîchement islamisés arrivèrent ici au 19ème siècle, les Bassaris, refusant d’abandonner leurs croyances animistes, entrèrent aussitôt en résistance, donnant lieu à un conflit particulièrement sanglant. On trouve encore des fusils artisanaux d’époque ayant servis à cette occasion. C’est ainsi qu’ils réussirent à conserver intégralement leurs coutumes et mode de vie jusqu’aux années 60: parcours initiatique, éducation dans des cases communes, habiment à la mode d’Adam, cérémonies des masques, consommation de bière de mil et de vin de palme,…
Quand les premiers missionnaires catho débarquèrent en 1958, moyennant d’habiles concessions pas très orthodoxes, les Bassaris acceptèrent de se convertir (ou se pervertir, selon le point de vue). Le syncrétisme qui en résulte est plutôt cocasse, mêlant le petit Jésus et la Sainte Vierge aux fétiches, esprits de la forêt et à la polygamie.
En attendant que le Vatican en finisse pour de bon avec leur culture, nous prenons beaucoup de plaisir à cotoyer les Bassaris et écouter les témoignages théatraux des anciens autour d’un vin de ronier (sève d’un palmier fermentée). Nous voyageons ainsi dans un monde aussi incroyable que fantastique, mais peut-être trop fragile pour résister à la modernité.
Quelques pensées:
Difficile de décrire les ressentiments qui se bousculent à mesure que nous avançons car très variables d’un jour à l’autre. L’exotisme et la nouveauté nous amènent à aborder la question de différents points de vue, et il nous faut bien en choisir un si on veut en causer.
D’un côté, la facilité de communication et de compréhension, héritage direct de la période coloniale et post-coloniale, nous est très confortable. La sympathie naturelle pour l’ex-colon, surprenante de premier abord, s’avère fort appréciable. Elle se décline souvent en réelle reconnaissance envers le « civilisateur », accompagnée parfois d’un complexe d’infériorité mais aussi d’attente d’assistance. Pas question pour nous de tirer quelque gloire que ce soit de cette page de l’histoire que j’aurais plutôt tendance à considérer comme honteuse pour nos ancêtres.
En tout cas, le courant passe à merveille, sans retenue. Les joutes de politesses, de farces et d’histoires nous invitent à faire partie de la famille, à nous sentir Africains, à mesure qu’on nous répète que nous sommes chez nous.
D’un autre côté, le gouffre qui sépare la mentalité africaine de l’occidentale nous apparaît sans cesse plus évident. La construction mentale d’ici se heurte à tous les principes que nous considérons comme indispensables au développement et à sa durabilité. Cela tient à la façon d’imaginer l’avenir. Si en Occident, nous sommes habitués à prévoir, planifier, envisager que faire s’il arrivait tel événement et que faire pour que tel événement n’arrive pas, etc…en Afrique, du moins celle que nous effleurons, l’avenir est du ressort de Dieu, ou en tout cas pas des hommes! Ainsi, c’est le court terme qui prime et les liens de cause à effet des actes humains ne sont pas établit à plus longue échéance. De là découle une foule de problèmes en cascade qui peuvent désespérer les spectateurs que nous sommes, mais qui ne semblent pas le moins du monde ébranler l’enthousiasme des Africains. Un peu comme quelqu’un qui couperait la branche sur laquelle il serait assis, et avec le sourire en plus!
Les exemples se trouvent à foison, et une conséquence en entraîne une autre, dans une spirale qui semble ne jamais devoir s’arrêter sinon dans le chaos. L’explosion démographique illustre parfaitement ces propos.
Dans un environnement dégradé, voire ruiné par l’Homme, et qui offre toujours moins de ressources, comment peut-on ignorer l’urgence du contrôle des naissances? Même si les autorités font miroiter l’avènement d’un pays « émergeant », l’auto-suffisance alimentaire « grâce » aux OGM et la magie de la technologie, on se rend bien compte que la place pour toutes ces nouvelles bouches sera bien mince.
Un autre aspect désolant est la destruction du milieu de vie, notamment par les feux de brousse qui se révèlent quasi systématiques. Les raisons invoquées sont multiples et fantaisistes (débusquer les brigands, faciliter la chasse, favoriser la repousse, le feux seraient même causés par les étincelles produites par les cornes des buffles), mais les conséquences sur la biodiversité, le climat et l’érosion sont désastreuses. Plus que tronçonneuse et bulldozer réunis, le briquet est une arme particulièrement redoutable contre la vie.
Enfin, pour achever ce bref tableau, il faut évoquer l’aide internationale qui fait partie intégrante du paysage. Qu’il s’agisse de contributions de l’Europe, de la France, d’associations plus ou moins sérieuses, de missions plus ou moins obscures, ou d’individuels au grand cœur, l’Afrique de l’Ouest est une terre de prédilection pour toutes sortes d’expérimentations caritatives. C’est plutôt sympa de leur part, vu de l’extérieur, mais ces interventions se résument souvent à poser un petit pansement sur une gangrène, ou alors un gros bandage à côté de la plaie!
Ces équipements et infrastructures offerts, qui représentent parfois des sommes considérables, après quelques temps, faute d’entretien, de connaissances ou parce que l’argent disparaît, tombent en panne ou en désuétude. Ainsi, les robinets sans eau, les panneaux solaires sans batterie, les dispensaires sans médecins ni médicaments, les ambulances sans roues, etc… sont la règle! Il y a aussi les Zorro de l’humanitaire qui, après avoir distribué pèle-mêle le contenu de leur camion (vivres et objets glanés en Europe) repartent satisfaits en laissant le problème entier.
Curieusement, le tabou de la contraception, qui semble pourtant être la priorité absolue, n’est jamais levé, pas plus que la gestion des ressources et de la protection de l’environnement.
Cette région du globe nous apporte cyniquement l’espoir et la preuve que la vie humaine sera encore possible lorsque nous aurons tout bousillé sur Terre. Il faudra cependant sacrifier de manière drastique notre confort au bénéfice du nombre. Un choix devant lequel l’ensemble de l’Humanité se trouve. A moins que nous ne laissions le soin aux dieux et au destin de poursuivrent leurs œuvres.
Tcho
05/03/2015 at 7:35
C’est sensas 🙂 merci pour toutes ces nouvelles. La vie que vous décrivez semble loin d’être évidente, mais riche d’histoire, d’échanges et de sourires. Portez-vous bien et bon coup de pédale. Des bises
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Tony
05/03/2015 at 7:43
Bon alors du coup ça se passe comment avec Ebola ? Mis à part se laver les mains, je veux dire. Vous passez par où ensuite ?
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aliciaetsam
18/03/2015 at 10:19
Ebola? Bin rien! On a vaguement pris notre température à la frontière mais au Sénégal, il n’y a eu qu’un seul cas. Maintenant toutes les frontières sont réouvertes. On continu en direction de la Casamance puis de la Gambie et l’on remonte jusqu’a Dakar.
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Jerem
07/03/2015 at 12:42
Bravo pour ce reportage ! c’est un vrai plaisir de te lire et les photos sont magnifiques !
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Lola
08/03/2015 at 11:19
Salut les Pédalos !
Quel pied de vous lire ! Merci pour le partage de vos vécus, vos images; vos réflexions et interrogations. Quelle richesse d’ouvrir un peu les yeux avec vous, depuis nos quotidiens et nos modes de vie très relativement éclairés… que de questionnements philosophiques posés par la différence des vies humaines d’un lieu à un autre, d’une culture à une autre, d’une histoire à une autre. C’est captivant.
Portez-vous bien, et n’oubliez pas de vous laver les mains à l’air libre.
Bien des pensées et des bises
Lola
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Lola
09/03/2015 at 3:23
Sam…attention… gros serpent, petit zizi !
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zabb
13/03/2015 at 7:54
Et le genou? Bien cicatrisé? Je rejoins juste votre périple et compte le suivre. Bises à vous deux
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aliciaetsam
18/03/2015 at 10:17
pas parfaitement cicatrisé mais il y a du mieux de jour en jour. Avec la poussière, la chaleur et la transpiration se n’est pas évident. Nous avons néanmoins repris la route!
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