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Mauritanie

09 Fév

[Ecrit par Sam]

Une zone de non droit appelée no mans land sépare les postes frontière du Maroc et de la Mauritanie. Un enchevêtrement de pistes se hasarde entre les carcasses de voitures calcinées et rappelle la prudence requise pour éviter les mines qui truffent le territoire, souvenir d’un conflit qui n’est pas encore tout à fait résolu.

Et nous voilà en République islamique de Mauritanie, à la confluence du monde arabe et de l’Afrique noire…

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Nous sautons dans le train réputé le plus long du monde, qui se mesure en kilomètres, et qui assure la liaison entre la côte et les mines de fer de Zouérate, au cœur du Sahara. Les passagers sont entassés dans un espace qui ressemble plutôt à une bétaillère et, en prévision de l’anniversaire du prophète (l’équivallent du noël catho), des centaines de moutons ligotés sont jetés par dessus bord, en vrac, dans les wagons de minerai repartant à vide.

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C’est notre premier contact avec les locaux, et nous découvrons rapidement leurs deux activités favorites: la prière et le thé, exercices tous deux particulièrement compliqués et périlleux à réaliser, compte tenu des secousses, de la crasse et de la promiscuité.

Débarquant en pleine nuit lors d’une escale, hébétés, nous enfourchons nos montures, espérant atteindre au soir suivant le massif de l’Altar. La piste déserte se révèle très incertaine, mais quelques particularités du relief nous indiquent l’azimut à viser. Sans cesse nous nous ensablons et notre progression s’avère beaucoup plus laborieuse que prévue. La nuit tombe, et pas n’importe laquelle, puisque nous sommes le 31 décembre! rationnant le peu d’eau croupie que nous avons glanée auprès de nomades nous passons un réveillon sobre, sous les étoiles, au milieu de rien, en pensant à vous qui devez être en pleine bataille de cotillons ou en train de chanter le curé de Camaret. BONNE ANNEE!

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Durant la nuit, la tempête se lève, et, au petit matin, c’est dans un nuage de poussière dense que nous nous réveillons. emmitouflés dans nos chèches, la poudre minérale s’immisce dans tous les orifices, encombrant les sinus, faisant saigner du nez et crisser les dents. Et surtout, on n’y voit plus que dalle. La boussole est notre seul guide et le vent nous fait face. Je ne sais pas pourquoi on appelle ça être dans de beaux draps!

Mohamed, notre contact, nous accueille dans sa famille autour d’un bon thé.DSC04261

La préparation de cette boisson est ici un rituel pluriquotidien dont les subtilités échappent à l’occidental. La cérémonie requiert des gestes adroits et précis, un brin ésotérique, et nécessitent des plombes pour au final obtenir quelques millilitres d’un extrait concentré, sirupeux et mousseux. C’est surtout à mon sens un bon prétexte pour prendre le temps de bavarder tranquillos.

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Dehors, des gosses aux pieds nus, morveux et chassieux, jouent dans les décombres, des chèvres décharnées broutent les ordures, tandis que le muezzin appelle à une énième prière.

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C’est le moment de ranger la théière pour procéder aux ablutions, pratique plutôt problématique au regard du peu d’eau disponible.

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En effet, pour se purifier, il convient de se laver le visage et les pieds cinq fois par jour. Heureusement, le reste peut rester crado.  Il est frappant de constater à quel point un peuple aussi mal doté par le ciel s’abandonne avec autant d’assiduité et d’unanimité à la ferveur religieuse.

L’avantage pour nous, c’est qu’on n’a plus de difficulté à s’orienter: il y a toujours une paire de fesses pour nous montrer l’ouest!
Plus sérieusement, j’y vois la manifestation d’un lourd fardeau hérité de génération en génération et qui constitue une véritable prison aux barreaux invisibles, figeant la vie dans un passé révolu et sclérosant toute initiative progressiste.

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On peut certes critiquer les travers de la civilisation occidentale, mais il me semble que sa plus grande conquête, au delà des facilités matérielles qui en découlent, du système social, etc… , est cette liberté de conscience que nous avons acquis et qui nous permet d’imaginer de dire merde aux âneries de nos ancêtres, et de nous libérer du joug des rigidités et traditions imbéciles. C’est justement à ce moment de nos réflexions que survient l’assassinat des journalistes de Charlie, et, même si les gens nous présentent sincèrement leurs condoléances et nous font part de leur indignation, personne n’est en mesure de se représenter ce qu’est la laïcité, la liberté d’expression, encore moins la notion d’athéisme.

Cette zone de peuplement constituait jadis une étape importante sur la route des caravanes de sel, du long périple vers La Mecque (un an aller-retour tout au moins).DSC04492

Aujourd’hui, le transport transsaharien à dos de chameau est tombé en désuétude et le business du pèlerinage se fait via des agences et par avion.  De plus, les maigres oasis se sont ensablés, et le tourisme embryonnaire qui avait cru un jour vaguement se développer est retombé durablement au point mort depuis les frasques des islamistes.DSC04273

Bref, il ne reste à ces populations que trois poignées de dattes et quelques dromadaires pour se nourrir.

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Quelques ONG tentent timidement de limiter les dégâts, mais la question de la pérennité de ces action reste en suspens. Plusieurs interrogations se posent: comment et pourquoi maintenir une population là où il n’y a plus de ressource? Et quant à partir, avec quels moyens, vers où et pour quoi faire? Pas de réponse. Peut-être peut-on alors comprendre ces gens qui prient et attendent un miracle.

Fermons cette parenthèse un peu sombre, et plongeons dans la beauté et la poésie du lieu et de ses habitants attachants.

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A l’occasion des festivités religieuses, est organisé un « festival des villes anciennes ». Cette année, c’est dans l’oasis de Chinghetti qu’il se déroule, sur une semaine, et c’est l’occasion  rêvée de découvrir la riche culture sahraoui: chants, danse, courses de chameaux, tir au fusil, récitation de poèmes, exposition d’artisanat et d’écrits sacrés,… DSC04334

Le village est en liesse et des visiteurs affluent de tout le pays. L’air est toujours aussi chargé et nous crachons encore de la pâte. DSC04403

C’est d’ici que nous prenons le départ pour une excursion de trois jours à dos de chameaux, à travers un impressionnant paysage de dunes: une expérience inoubliable.

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Une halte à la capitale, Nouakchott, histoire d’acquérir le visa sénégalais, nous permet de comprendre un peu mieux la société mauritanienne, dont les clivages entre les castes, liés souvent à la couleur de peau (Maures blancs et Noirs pour faire simple) est criante: guerriers, marabouts, griots, tisserands,… et captifs, autrement dit, esclaves. Brefs, il y a ceux qui possèdent les capitaux, et ceux qui triment. C’est la tradition.

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Nous faisons connaissance avec quelques figures représentatives de la réalité africaine:

-Des jeunes « révolutionnaires » qui, à travers la musique, hip hop et reggae, tentent de faire évoluer les mentalités, au risque de perdre leur liberté, voire leur vie. Vous pouvez écouter sans doute sur le net nos amis du groupe « Ewlad leblad » et aussi « Zizza », qui nous ont demandé de faire passer leur message et de les soutenir s’il leur arrivait malheur.
-Boubakar, jeune universitaire malien, ainé de sa fratrie, issue de plusieurs femmes, et qui a été désigné pour trouver de quoi subvenir aux besoins de la famille. Son objectif: grimper le grillage qui sépare l’Afrique de l’Espagne à Mellila: le rêve européen, quoi! Pour le moment il se fait exploiter ici en Mauritanie par un patron qui oublie de le payer, en attendant de poursuivre son long et hasardeux parcours.
-Ahmed, activiste du Front Polisario (pour la libération du Sahara occidental), pourchassé par le Maroc et que nous avons rencontré trois semaines plus tôt en pleine grève de la faim bloqué à la frontière. Avec sa femme et ses quatre enfants, il vient juste d’atteindre le HCR de Nouakchott (Haut Commissariat aux Réfugiés), devant lequel il campe, pour une demande de refuge politique. C’est un vrai guerrier, et son œil pétille quand il nous raconte ses combats héroïques contre l’armée marocaine. Nous on n’y comprend pas grand chose, mais c’est pas de la rigolade. Pour eux aussi le parcours n’est pas terminé, et il leur faudra sans doute du temps pour se refaire une santé.
-Michel, un Français qui a bourlingué dans toute l’Afrique papillonnant entre des business plus ou moins obscurs, tentant de se faire oublier des autorités françaises pour des raisons qui ne nous regardent pas. Pour lui, la grande époque, c’était le trafic des véhicules dans les années 70-80 en traversant le Sahara par l’Algérie (lisez « Sahara » de Cisia Ziké pour vous mettre dans l’ambiance).

Voilà le fleuve Sénégal et ses marécages! Enfin nous quittons ce satané Sahara qui nous aura donné à vrai dire du fil à retordre. Une nouvelle page s’ouvre…..

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5 Commentaires

Publié par le 09/02/2015 dans Récits de voyage

 

5 réponses à “Mauritanie

  1. mandolpierre

    16/02/2015 at 12:19

    bonjour
    je constate avec regret que je ne suis pas le seul a decrire de maniere triste, et meme sinistre, le mode de vie local.
    en esperant que ca sera mieux un peu plus loin.
    et quoiqu’il arrive rappelez vous que au moins vous avez vu l’Afrique, et que en fait c’est cela l’objet de ce voyage.

    bonne route Pierre

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    • aliciaetsam

      28/02/2015 at 7:04

      Voir l’Afrique est un bien grand mot tellement elle est variée. Et, même si nos écrits te paraissent sinistres, nous vivons une expérience humaine incroyable et c’est ça le but de notre voyage!

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  2. Frederic Curien

    17/02/2015 at 11:09

    Salut Ali, salut Sam,
    De nouveau ravi de vous lire.
    Merci pour votre récit, ça change des infos, vous devez faire des rencontres moins sympathiques que celles que vous nous relatez, mais celles que vous avez choisi font du bien ou éclairent d’une lumière « proche » des enjeux parfois bien lointains. (ici souvent on lit « L’Alsace »).
    Vous avez eu envie de parcourir l’Afrique, merci d’écrire PLUS !
    Des bises de nous quatre
    Fred Lola Marlène Lubin

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    • aliciaetsam

      28/02/2015 at 7:07

      Et bien figure toi que non, pas de rencontres moins sympathiques. J’avais un peu peur d être mal reçue en tant qu’ancien colonisateur mais pas du tout! Les gens sont particulièrement accueillants et chaleureux avec nous.
      La bise à vous quatre

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  3. Flavien

    28/02/2015 at 3:48

    Salut,
    Plus de nouvelles depuis, que se passe-t-il ? Les photos sont tout simplement magnifique ! Et je me rends compte de la détresse de ces peuples.

    Bisous
    Flavien

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