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Maroc

11 Jan

[Ecrit par Sam]

Le Maroc impulse une nouvelle dynamique à notre parcours. Ce n’est pas que nous roulions plus, mais la cadence des découvertes, situations et rencontres s’accélère. L’excursion laisse enfin place au voyage, avec son lot de surprises et d’émerveillements.

  La transition est cependant douce, le pays louvoyant entre ses traditions et la culture européenne, et spécialement française. Les repères sont vite intégrés, et le voyageur est mis à l’aise sans attendre. « Mehraba » nous crie-t-on: « bienvenue ».
  Les pieds dans la Méditerranée,  nous toisons avec respect et perplexité le massif du Rif, qui se dresse devant nous comme une muraille.
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Nous nous engageons dans l’ascension, à travers les champs fraîchement récoltés. Jusqu’aux plus hauts sommets, le chanvre étend son monopole exclusif. C’est la saison des travaux d’intérieur: afin d’en extraire les particules résineuses, les plantes séchées sont battues sur un tamis à un rythme propre à chaque famille. Enfants et vieillards sont de la partie. La campagne résonne alors de mille tambours.
  L’escarpement et l’habitat dispersé mais dense interdisant le camping sauvage, nous découvrons l’hospitalité marocaine. Mohamed est le premier à nous proposer son toit, une petite cahute de pisé. Nous nous frayons un passage entre d’encombrants ballots de kif prêts à être travaillés.
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Il nous reste juste la place pour nous caler autour de la bougie et de la théière brûlante. Notre hôte ne tarit pas d’histoires incompréhensibles, qu’il entrecoupe de silences de suspense et ponctue de fous-rires mémorables. Par la porte ouverte, le reflet de la pleine lune sur la mer quelques 1500m en contrebas, éclaire toutefois son discours d’une certaine cohérence.
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 Mohamed est ce que j’appelle un passeur, comme toutes ces personnes qui sans cesse nous aident, chacune à sa façon, et qui finalement nous délivrent les clefs indispensables à la bonne compréhension de ce qui nous entoure et à une progression consciente.
  Profitant d’une halte à Fes, nous goûtons à la vie de la médina, l’antique cité fortifiée.
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Se perdre dans le dédale des ruelles étroites et tortueuses est un vrai plaisir,  comme s’il s’agissait d’un jeu de piste exempt de règle et de but. Il suffit de se laisser guider par les odeurs qui s’entremêlent:  épices, cuir, parfums, tajines qui mijotent…
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Il n’y a guère que dans les quartiers des tanneurs, des égorgeurs de poules et des poissonniers qu’on renâcle à s’attarder. Il est particulièrement fascinant d’observer les artisans à l’œuvre: menuisiers, orfèvres, tailleurs, cordonniers, maroquiniers,…
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Perpétuant des savoir-faire ancestraux, d’un geste juste et précis, ils produisent des pièces de qualité avec des outils rudimentaires et dans un espace réduit. Après la quiétude et la sobriété des campagnes, le bruyant fourmillement de la ville, le foisonnement d’objets de toutes sortes et la vivacité des couleurs se révèlent quelque peu étourdissants. Nous nous enivrons de cette opulence rassurante.
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  L’hiver venant, nous nous hâtons d’engloutir le Moyen
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puis le Haut Atlas, en nous faufilant entre les sommets fraîchement enneigés.
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L’occupation humaine se raréfie et de bons spots de bivouac se succèdent.
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  Nous atteignons les zones arides du Sud de l’Anti-Atlas. Quelques acacias et broussailles rabougries semblent s’ennuyer dans ce décor minéral immobile, se faisant aussi rêches que possible sous la dent de quelques dromadaires placides.
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Au loin, impassible, rocher parmi les rochers, un pâtre nomade surveille son troupeau du coin de l’œil. Il peut rester ainsi la journée entière, à l’ombre de son chèche, sans rien glander. Les djebels aux reliefs tourmentés évoquent des meringues trop cuites, rougeoyant telles des braises au crépuscule, avant de s’éteindre dans la fraîcheur et la pureté d’une nuit étoilée. Le silence, inhabituel, est alors presque assourdissant. Les pensées s’assèchent comme un puits tari, l’esprit se vide comme une outre percée.
  Parfois, au bénéfice d’une veine d’eau résiduelle, émerge sans transition une palmeraie.
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Celle-ci peut être ponctuelle, une oasis, ou bien s’étirer sur plusieurs dizaines de kilomètres. La nature s’y montre riche et généreuse, et respire l’abondance et la sérénité. Courant entre les dattiers, un ingénieux réseau de canaux d’irrigation alimente les innombrables plates-bandes de ce jardin en mosaïque, et atteste de l’intelligence avec laquelle les Hommes on réussi à tirer partie des maigres ressources en présence.
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  Malheureusement, la sécheresse qui sévit sur la région depuis de longues années met sérieusement en péril ce fragile équilibre. Si bien que le roi Mohamed VI lui-même a demandé au peuple de prier pour qu’il pleuve. C’est donc avec incrédulité, puis étonnement, que nous accueillons au petit-matin le clapotis des gouttes sur la toile de notre tente. Soudain des trombes se déversent sur la terre brûlée et durcie par le soleil, ne tardant pas à donner naissance à des rivière, qui, gonflées par les eaux ruisselant des montagnes, déploient leurs tentacules de boue à travers le désert, le compartimentant ainsi en une multitude d’îlots. Évidemment, il est préférable de ne pas rester prisonnier sur l’un d’eux.
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  De justesse, nous parvenons à nous réfugier dans une oasis. La population exulte, remerciant le Bon Dieu d’avoir exaucé son vœu. Personne ne se doute encore du déluge qui va s’abattre sur le pays…
  Il nous faudra une dizaine de jours pour nous extirper de ce guêpier, profitant d’accalmies pour franchir les oueds en crue, et pour bien souvent être à nouveau coincés plus loin.
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Aucune information fiable ne filtre et nous avançons à vue. Le Sud Maroc est totalement bloqué, mais à bicyclette il est possible de trouver des passages praticables. Peu à peu, nous mesurons l’ampleur du désastre. Le spectacle est impressionnant: villages réduits en tas de boue, ponts effondrés, routes emportées sur des kilomètres, lignes électriques arrachées… Le bilan humain est quant à lui bien macabre.
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  Dès la tourmente apaisée, la métamorphose du désert est frappante: l’étendue supposée stérile verdit à vue d’œil, telle une prairie, puis fleurit! La nature est en émoi. Libellules, papillons et même grenouilles apparaissent. Assister à ces instants rares et magiques où la vie renaît est un enchantement. Pour les Hommes aussi l’avenir  s’annonce prospère et heureux. Les terres abandonnées sont à nouveau sarclées et semées, et le bétail engraisse déjà.
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  Une escale dans un endroit que nous baptisons « le petit village gaulois » nous permet de rencontrer un autre type de visiteurs: les retraités français en camping-car. Déplaçant pour l’occasion plusieurs tonnes de matériel, sans oublier la parabole, le chien et le pastaga, c’est dans un confort très occidental qu’ils viennent passer les mois d’hiver au chaud, pour pas cher, fidèles à leur emplacement d’une année à l’autre. Le plus difficile semble toutefois de trouver à tromper l’ennui.
  Je profite de cette pause pour faire du « tourisme dentaire », le genre d’expérience que l’on tente que si on a la foi ou si on n’a pas le choix. Afin d’apaiser mon angoisse légitime des microbes que je sens grouiller tout autour de moi, on m’administre de copieuses giclées d’eau de javel dans la bouche, et je suis mis à contribution pour démonter et réparer la fraiseuse tombée en panne en cours d’intervention. Au final, on s’est bien marrés, le dentiste et moi, mais à choisir, j’aurais préféré subir l’épreuve du coiffeur, par exemple.
  Un tajine de dromadaire particulièrement coriace nous donne les forces et le courage d’appréhender le Sahara marocain.
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Les jours et les semaines se suivent et se ressemblent inlassablement, nous faisant perdre la notion de la chronologie. Nous avons la sensation de pédaler sans avancer sur un tapis roulant dans un décor qui ne change pas, entre l’océan et les dunes.
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Les Maliens et Sénégalais qui convoient d’une traite des bagnoles depuis l’Europe nous dépassent à toute allure. Les points de ravitaillement se font de plus en plus rares et l’eau y est parfois saumâtre, nous obligeant à nous charger lourdement. Heureusement on trouve aisément de la « vache qui rit », ce délicieux fromage français qui a l’avantage de supporter le soleil sans s’altérer.
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  Ce trajet est idéal pour apprécier la playlist que certains d’entre vous m’ont offert pour mon anniversaire: de Bach à Deep Purple, même Didier Super y trouve sa place. Le désert, c’est comme le pinot gris, c’est neutre et ça va avec tout.
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Coltrane fait cependant sensiblement baisser la cadence!
  Nous voila devant le poste frontière mauritanien et c’est sans doute seulement maintenant que nous quittons véritablement l’Europe, mais ça on en causera au prochain épisode…
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3 Commentaires

Publié par le 11/01/2015 dans Récits de voyage

 

3 réponses à “Maroc

  1. David

    12/01/2015 at 2:51

    ENCORE!!!!!! 😉

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    • Tony

      21/01/2015 at 1:15

      Ah le Maroc, ses tajines, son kif, ses lavabos dont lesquels on peut faire caca… Quel merveilleux pays !!!
      Ça donne envie d’y retourner, pas vrai David ?
      La bise à vous et au dentiste.

      Tony

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  2. elo

    29/01/2015 at 1:41

    Wow c’est magnifique!!

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